Fibre optique : les collectivités locales mettent l'Etat au pied du mur

le 10/04/2014, par Didier Barathon, Fibre optique, 1114 mots

Les collectivités locales fêtent les 10 ans de l'article L 1425-1 du Code général des collectivités territoriales qui leur a donné la possibilité de créer des réseaux télécoms indépendants. Elles se préparent à une autre grande étape : le déploiement du plan très haut débit, prévu pour amener  la fibre optique partout en France dans les 10 ans à venir.

Fibre optique : les collectivités locales mettent l'Etat au pied du mur

«Si l'Etat ne le fait pas, les collectivités locales le feront, les textes nous le permettent, j'invite mes collègues à  réfléchir». De quoi parle ainsi Gilles Quinquenel, président de Manche Numérique mardi dernier au séminaire de la FiRIP (*) et avant lui Claudy Lebreton, président de l'Association des départements de France ? Du projet de création d'une agence pour porter le projet Très haut débit. Ce projet, annoncé par le président de la République prévoit la couverture de toute la France en fibre optique d'ici 2022. Il doit être coordonné par une agence, l'Etat devait la mettre sur pied à partir de la Mission très haut débit. Mais l'Etat ne donne plus signe de vie sur ce projet d'Agence, suscitant l'exaspération de plusieurs associations d'élus qui ont toujours été en pointe sur les sujets du haut puis du très haut débit (*).

Sur le même sujetAltice-Numericable finance le rachat de SFR par la detteCette exaspération se transforme en une mise en demeure : si vous ne faites pas ce que vous avez promis, nous le mettrons en oeuvre avant l'été (**). Les collectivités locales sont d'autant plus méfiantes que personne ne leur donne d'assurance. Yves Rome, président de l'Avicca, a écrit à Arnaud Montebourg après le remaniement pour lui rappeler tout ce que les collectivités avaient fait pour développer le très haut débit. C'est par exemple plus d'un milliard d'investissements en 2013 (+120%). Elles ont fait leurs preuves.

13 milliards d'euros à trouver

Le projet du président de la République qui prévoit 20 milliards d'euros au total, en laisse benoîtement 13 aux collectivités (le reste se répartit entre l'Etat et les opérateurs, ces derniers sur les zones denses). Des chiffres livrés avant que l'Etat ne projette de réduire encore son budget et sa dotation aux collectivités. Les collectivités locales sont donc particulièrement vigilantes. C'est elles qui vont porter la plus grande partie financière du projet et celle-ci va peut-être augmenter encore.

Elles voulaient dès le départ être représentées dans l'Agence. Elles menacent désormais de la créer elles-mêmes si l'Etat tergiverse encore et, dans tous les cas de figure, elles souhaitent de solides garanties pour leurs emprunts. «Ce projet fibre optique, c'est 20 à 25 milliards d'euros, pour nous 1 milliard par an, souligne Gilles Quinquenel, nous avons donc besoin de sécurisation, il faut un pré-financement et l'accord de l'Etat et de nos financeurs permettrait d'avancer ».

Orange freine-t-il le projet ?


Les collectivités émettent d'autres points de vigilance. Comme toujours sur ces sujets, du haut et maintenant du très haut débit, Orange est soupçonné de freiner le projet. C'est une constante dans les séminaires des collectivités. « France Télécom est vent debout depuis le départ contre les RIP » lance Philippe Leroy, sénateur, l'un des deux auteurs (avec Jean-François Legrand) du projet L-1425-1 au Parlement. D'autres intervenants tempèrent le propos ou le reformulent. «Les résistances rencontrées il y a dix ans se sont quand même transformées et Orange est par exemple présent dans plusieurs RIP » note Philippe Legrand vice-président de Nomotech. «C'est une société exceptionnellement performante, une société française avec des capacités d'innovation » analyse Gilles Quinquenel. L''Etat est a son capital et les collectivités membres de la FiRIP aimeraient que ce levier serve à actionner la couverture des territoires, mais pas à leur détriment

La Mission Champsaur, qui doit analyser l'extinction du cuivre et le passage à la fibre optique est, elle aussi, épinglée. « Il faut arrêter de tergiverser et savoir si cette mission va seulement nous dire comment ne pas arrêter le cuivre », lance un intervenant. Plus réaliste, Gilles Quinquenel nous explique rencontrer tout le monde, dans la mesure, nuance décisive, où le temps passé à ses auditions se traduira dans les faits. L'écoute qui est toujours réelle ne suffisant plus. « La Mission Champsaur est une belle idée qui tarde à  se concrétiser » entend-on dans la salle lors du séminaire FiRIP.

La République des soviets

Les collectivités locales, celles qui ont fait le choix de l'indépendance sont donc inquiètes et vigilantes. Elles veulent un engagement fort de l'Etat et comptent maintenant sur Arnaud Montebourg réputé tranchant. « Actuellement, il n'y a pas de chef, souligne Philippe Leroy. La République Numérique c'est la République des soviets avec beaucoup de comités qui décident chacun dans leur coin : la DG 6 (Bruxelles), la Mission très haut débit, l'Arcep, la Caisse des dépôts. Or, l'Etat peut beaucoup, il est actionnaire de France Télécom, se veut volontariste sur le très haut débit, dispose de la Caisse des dépôts ».

Cette dernière, à son corps défendant, suscite une petite polémique. Les Echos ont dévoilé un projet nommé Coquelicot qui associerait dans une co-entreprise Orange et une filiale de la Caisse, CDC Infrastructure. Projet permettant à Orange de financer le déploiement de la fibre optique. La Caisse des dépôts elle-même, depuis près de vingt ans, a pourtant accompagné les initiatives des collectivités locales. Coquelicot serait au contraire une association destinée à porter un projet très haut débit avec l'opérateur historique, en dehors des collectivités regroupées dans la FiRIP. Ce qui n'est pas du goût de ces collectivités, également vigilante sur le VDSL2 qu'elles voient parfois comme un moyen de repousser le déploiement de la fibre optique.

Réguler la boucle locale du câble

Nous n'aurons garde d'oublier le sujet d'actualité, le rachat de SFR. Plusieurs questions se dégagent. Celle du très haut débit et de la poursuite des projets de SFR Collectivités engagé dans de nombreux déploiements fibre optique. Une alternative sérieuse à Orange. Le câble, composante de base du nouveau groupe, laisse ouverte une difficile question de régulation. Autant la boucle locale FTTH est régulée, autant celle en câble ne l'est pas. Pas d'obligation donc de traiter avec des opérateurs de services donc d'ouvrir le marché et de laisser naître des opérateurs locaux. En Belgique, en Hollande par exemple la question de cette régulation se pose. Elle est très redoutée par Patrick Drahi en France. 

Plus généralement, les membres de la FiRIP craignent un duopole. Elles se sentent tenues à l'écart, les zones denses et moyennement denses seraient fibrées, si elles le sont, par le duopole, le reste resterait à leur initiative. En période de disette budgétaire, la crainte est encore plus vive. Et leur demande de garanties encore plus pressante.

(*) L'ADF, Association des départements de France, la FNCCR, Fédération nationale des collectivités concédantes et régies dont Gilles Quinquenel est vice-président, l'Avicca, l'Association des Villes et Collectivités pour les Communications électroniques et l'Audiovisuel, la FiRIP Fédération des industriels des Réseaux d'initiative publique
(**) La plupart des propos retranscris ici proviennent du séminaire tenu par la FiRIP mardi 8 avril.

Le poids des RIP

L'Idate réalise pour la FiRIP une étude régulière sur le poids des RIP. En 2013, ils représentaient un millier d'emplois (4 000 équivalents temps plein), en 2016 ils seront 2 700. C'est plus de 250 entreprises qui travaillent sur ces réseaux : cabinets conseils, bureaux d'études, opérateurs locaux, câbliers, génie civil etc... Le chiffre d'affaires de ces entreprises, réalisé en 2013 sur ces réseaux, représente plus d'un milliard d'euros. A l'horizon 2015, la filière économique des RIP devrait représenter 9 000 emplois et 2 milliards d'euros de chiffre d'affaires.

Cette Fédération a été créée en décembre 2012 à l'initiative d'Etienne Dugas, Président du groupe Marais, elle regroupe actuellement une centaine d'entreprises.

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