Jean Schmitt
Partenaire associé chez Sofinnova

le 22/03/2010, par EuroTMT, RT Infrastructure

Si vous voulez créer un centre de recherches avec 30 ou 40 salariés, la France est le meilleur pays du monde.

Jean Schmitt

(Source EuroTMT )En ce début d'année, Sofinnova, le leader européen du capital-risque, a annoncé la vente de Sensitive Object au groupe Tyco Electronics avec à la clé une belle plus-value. Lors de son entrée au capital de la start-up en 2004, Sofinnova avait acquis la majorité du capital en investissant un million d'euros. La vente s'est conclue sur un prix de 62 millions de dollars ! 

Sensitive Object exploite un brevet issu des recherches menées par les équipes de Mathias Fink à l'ESCPI Paris Tech. Son originalité : transformer n'importe quelle surface en un écran tactile. Une technologie qui a très vite intéressé Tyco Electronics, spécialisé notamment dans les écrans tactiles. Après avoir acquis la société française début 2010, Tyco Electronics en a fait son siège mondial pour ses activités dans les écrans tactiles.

Mais, cet exemple illustre aussi les difficultés des start-up françaises à trouver une porte de sortie sur les marchés européens des capitaux. Pour, Jean Schmitt, partenaire associé de Sofinnova, les grands investisseurs institutionnels, à quelques rares exceptions près, ont en effet déserté le marché du financement des entreprises moyennes, alors que le cadre législatif n'a jamais été aussi favorable aux sociétés technologiques en France.

EuroTMT : Pour quelles raisons avez-vous vendu Sensitive Object à Tyco Electronics ?
Jean Schmitt  : Il y a quelques années, Tyco avait voulu copier la technologie de Sensitive. Mais nous avions fait pression pour qu'ils signent un accord de licence. Le montant des royalties que Tyco devait verser à Sensitive Object était si élevé, qu'il était logique qu'ils finissent par acquérir la société.


EuroTMT : Une autre solution, telle qu'une mise en bourse, n'était-elle pas envisageable ?
Jean Schmitt  : Conserver l'indépendance de Sensitive Object aurait nécessité d'injecter 15 millions d'euros supplémentaires et de garder la participation encore trois ou quatre ans. Mais nous n'avons pas les moyens de financer les entreprise de taille moyenne. Sofinnova n'investit que dans l'« early stage ».Le problème est que le marché boursier européen pour les « small cap » est inexistant, on ne peut pas y lever de l'argent faute de véritable valorisation. Euronext ne fonctionne pas correctement : depuis cinq ou six ans, il y a plus d'argent sorti de la bourse (en dividendes ou en rachats d'actions) que d'argent levé par la bourse.

EuroTMT : Comment expliquez-vous cette situation ?

Jean Schmitt  : Il manque, en France et en Europe, deux cliquets fondamentaux : des analystes financiers spécialisés dans la technologie et qui passent du temps dans les « small cap » d'une part ; et, d'autre part, des investisseurs européens qui investissent dans les bourses européennes. De plus, les grands fonds qui investissent en bourse refusent d'investir dans les ...(Source EuroTMT )...« small cap ».
En fait, les grands investisseurs, comme les sociétés d'assurances, préfèrent les fonds de LBO, qui font tourner l'argent rapidement avec d'importants TRI (Taux de retour sur investissement), quitte à démembrer une industrie, plutôt que d'investir dans l'avenir du continent. Ce comportement n'est pas rationnel.  Un très grand fonds institutionnel ne peut pas ne pas considérer l'avenir du pays dans lequel il est installé. Refuser de financer l'innovation ne sera pas indolore.

EuroTMT : Ce comportement a-t-il des conséquences sur votre capacité à lever des fonds ?
Jean Schmitt  : C'est devenu aujourd'hui très difficile, voire carrément impossible pour certains « Venture Capitalists ». Nous avons eu de grandes difficultés à lever le fonds de 260 millions d'euros que nous avons clôturé en janvier 2010. Seulement 15 % des fonds viennent de France. Si la Caisse des Dépôts est toujours très active, les grands assureurs, par exemple, refusent d'investir significativement dans le capital-risque.
Nous existons pourtant depuis 40 ans et nous avons un excellent « track record ». Cette situation est due ne partie à la crise économique, mais surtout au sentiment qu'ont les grands investisseurs de pouvoir faire plus d'argent et plus vite que dans le capital-risque. Mais investir dans une start-up prend du temps : en moyenne, c'est sept ans. Si l'on veut faire les choses de façon harmonieuse, il faut laisser du temps. Beaucoup d'investisseurs préfèrent détruire les cathédrales, plutôt que d'ouvrir de nouvelles carrières de pierres.

EuroTMT : L'environnement législatif en France est-il favorable au capital-risque ?
Jean Schmitt  : La France a développé un environnement qui la met à égalité avec  la Chine pour ce qui est des coûts des start-up technologiques. Nous avons d'excellents chercheurs et ingénieurs, le statut de jeune entreprise innovante, le crédit impôt-recherche... Si vous voulez créer un centre de recherches avec 30 ou 40 salariés, la France est le meilleur pays du monde.
On relocalise même des sociétés américaines en France pour bénéficier du crédit impôt-recherche, mais la sortie a toutes les chances de se faire aux Etats-Unis. Tout le dispositif est en France, sauf le financement de la croissance et les acquisitions par les grands groupes.