Une duplication du Web 2.0 ?

Dossier par Djamel KHAMES, 1590 mots

La fièvre du web 2.0 gagne le secteur du mobile. Des conférences, des articles et, mieux, des entreprises se créent dans l'univers de la convergence fixe-mobile 2.0. Sans compter l'extension de leurs activités vers ce territoire pour les mastodontes Orange, SFR, Google, Yahoo...

La mobilité 2.0 est-elle une duplication du web 2.0 ou induit-elle la création d'applications et de services nouveaux fonctionnant dans un écosystème original ? Pour répondre à cette question, un retour en arrière s'impose. Si l'on prend comme définition du web 2.0 celle de Manuel da Rocha, partenaire chez la SSII Sopra - «C'est un groupe d'individus formant une communauté virtuelle partageant les mêmes valeurs et/ou centres d'intérêt ; ils sont désireux d'entretenir des relations interpersonnelles durables ; ils ont des motivations de nature sociale ou économique et utilisent Internet comme principal outil d'interaction.» -, le web 2.0 n'est pas une technologie, mais une pratique sociale. Presque tout le monde est d'accord sur cette définition. Seul diverge le périmètre de l'aire géographique du 2.0. Certains y incluent, par exemple, la messagerie instantanée, d'autres pas.

Web 2.0, ancré dans les moeurs

Cette pratique sociale a commencé avec les chercheurs du monde entier qui se sont emparés d'Internet dès la fin des années 80. Ils l'utilisaient souvent pour constituer des bibliographies scientifiques. Au début des années 90 apparurent les bulletin board systems, ces fameux BBS que nos cousins québécois ont vulgarisé sous le nom de babillards. C'étaient des ordinateurs servant de lieux d'échanges, organisés par centres d'intérêt. Seules les personnes averties s'y connectaient. Ils formaient déjà des communautés virtuelles, à vrai dire un peu élitistes. Les outils utilisés étaient plus complexes, les débits de navigation plus lents (56 Kbit/s au mieux). On apprend dans l'encyclopédie Wikipédia que la France a compté jusqu'à cent BBS, dont la quasi-totalité a disparu. Dans un passé plus proche, les fournisseurs d'accès à Internet ont popularisé les pages personnelles, avant d'y superposer les blogs. Comparés aux pages personnelles, ces derniers sont d'un maniement élémentaire. Mais la principale différence réside dans la capacité des blogs à organiser un débat ouvert à tous. Pour contacter un auteur de pages personnelles, il faut lui envoyer un courrier électronique.
Irène Toporkoff-Mayer, directrice d'Ask France, compare la fièvre qui monte dans l'univers de l'Internet participatif «au phénomène des radios libres du début des années 80. Ce succès s'explique par la familiarisation des internautes avec Internet et ses usages.» Bien qu'il donne l'impression d'un joyeux bordel qui va dans tous les sens, où le meilleur croise le pire, le mouvement web 2.0 n'est certainement pas un phénomène de mode.

Du contenu communautaire

L'importance du contenu créé par les internautes va grandissant parce qu'il rencontre un public nombreux. Cet engouement est observé partout sur la planète. Stephen Taylor, vice-président du moteur Yahoo! Search en Europe, affirme que «53 % de l'ensemble des pages vues de quatre grands sites sud-coréens sont issues de la production des internautes». En France, le baromètre Médiamétrie eStat de janvier 2007, dernière mesure disponible à l'heure où ces lignes sont écrites, fait apparaître l'avancée de Wikipédia au dixième rang des sites les plus consultés, avec près de huit millions de visiteurs uniques. La progression de cette encyclopédie en ligne, enrichie par qui le veut, est de 161 % par rapport à janvier 2006. Dans l'étude Tirer profit de la dynamique communautaire sur Internet, qu'il a récemment publiée, Manuel da Rocha écrit que «20 à 30 % des sites les plus fréquentés en France et aux Etats-Unis sont à vocation communautaire».

Mobile 2.0 : sortir du microcosme

Il y a encore un an, seules quelques personnes très branchées s'intéressaient au mobile 2.0. Ce sujet commence à sortir de la sphère des spécialistes. Les grands du web ou de la téléphonie mobile le conçoivent comme un prolongement de leur activité initiale. Certains acteurs ont déjà dupliqué, en mode Java, quelques unes de leurs applications web sur le portable, à l'image de Google. Le mobinaute qui accède à http://mobile.google.fr découvre, sur la page d'accueil, plusieurs choix : Recherche, Maps, Gmail, Actualités... De là, il peut effectuer une recherche sur le moteur, correspondre à l'aide d'une minimessagerie, consulter les dernières nouvelles ou se mettre en quête de la pizzeria la plus proche, si elle est référencée sur Maps. Parallèlement, Yahoo! développe une stratégie à peu près similaire. «On porte petit à petit nos applications sur les mobiles», déclare Patrick Hoffstetter, directeur des produits et services de Yahoo! France.

Un espace d'expression...

De son côté, l'opérateur SFR s'est distingué en offrant aux musiciens un espace sur le web fixe - sfrjeunes talents.fr - où ils peuvent déposer leur musique. Le public peut écouter gratuitement tous les morceaux sur l'ordinateur, et uniquement les dix meilleurs sur le mobile en passant par le portail Vodafone Live ! L'internaute peut aussi donner son avis. Entre le lancement du site en novembre 2006 et février dernier, six mille artistes ont déposé dix mille titres sur lesquels deux cent dix mille votes se sont exprimés. Ce concept a si bien marché qu'il a été étendu à d'autres secteurs : la photo, le cinéma et l'humour. En décembre dernier, SFR a aussi montré plusieurs applications pilotes 2.0, comme la consultation et la mise à jour, à l'aide du mobile, de son blog hébergé sur le web fixe.

... Très prisé des opérateurs

Orange a accompagné la naissance du système d'exploitation Vista en créant plusieurs widgets, dont certains sont utiles (accès direct à l'annuaire 118 712) et d'autres à vocation publicitaire (démonstration de la radio Wi-Fi). Voila.fr a été refondu en une version 2.0 où l'internaute peut sonoriser sa page d'accueil, inscrire son blog sur le moteur Voilà, etc. En lançant récemment Pikeo.com, Orange n'oublie pas qu'il est un opérateur intégré. Ce site web propose à tout internaute de faire partager, à un cercle restreint de personnes ou à tous les internautes, son propre univers en photos. Il donne aussi la possibilité d'enrichir son album en envoyant des photos directement du portable. L'opérateur préparerait des sites de partage de musiques et de films.
Bouygues Telecom, quant à lui, s'est distingué en étant le premier des trois opérateurs de la mobilité à offrir, dès la fin de 2005, à ses clients la messagerie instantanée de Microsoft, puis d'AOL, de Yahoo, etc.
Les initiatives viennent aussi de petits acteurs économiques. Moblr est un site de consultation gratuite de vidéos sur le mobile à partir duquel les mobinautes regardent et téléchargent les vidéos, au format 3GP, à l'aide d'un terminal 2G ou 3G. Ils peuvent aussi expédier leurs propres vidéos par MMS non surtaxés à l'adresse inmoblr .com. Selon l'Atelier BNP Paribas, le site aurait déjà été enrichi, dès octobre 2006, de deux mille cinq cents vidéos.

Deux jeunes pousses, Eyeka et Scroon, portées par des fonds d'investissement pour la première et par le patron de la société Phone Valley pour l'autre, ont créé chacune des plates-formes permettant une synergie entre web et mobile 2.0. Elles souhaitent les commercialiser en marque blanche.
Le web participatif a été permis par la création d'outils informatiques qui donnent à l'internaute la capacité de transformer les pages statiques du web 1.0 en pages dynamiques et modulables selon ses propres besoins. Plusieurs sites 2.0 encouragent l'élaboration d'un espace électronique personnalisée, d'un fil RSS, d'un widget... Pour Vincent Bonneau, responsable des usages des services Internet à l'Idate, «l'une des technologies à l'origine du web 2.0 est la programmation dynamique, principalement fondée sur la boîte à outils Ajax», c'est-à-dire l'Asynchronous Java Script and XML, apparue pour la première fois en 2005. Ajax est composé d'un ensemble d'outils de programmation pour structurer les informations (HTML ou XHTML), pour baliser et décrire le rôle des données dans une page web (XML et XSLT), pour présenter des informations (CSS), pour afficher dynamiquement l'information (DOM et Java Script) et pour échanger et manipuler les données avec le serveur web (XML HTTP Request).
Une simple application HTTP permet aux utilisateurs d'interagir avec un site web par l'intermédiaire d'un serveur. Celui-ci, interrogé, retourne une page nouvelle entière à chaque requête. L'avantage d'une application fondée sur Ajax est de ne renvoyer que les données strictement nécessaires en réponse à la requête. Les quantités d'informations échangées étant plus réduites, le temps de réponse est plus rapide. Ajax - qui fait presque partout l'unanimité des développeurs - a donc facilité la création d'applications et de services personnalisables, comme les blogs, les tags, les fils RSS, les widgets et les wikis.

Une technologie moins uniforme

Pour les mobiles, si l'hypothèque de la performance des réseaux a été levée avec l'accroissement de la couverture des accès à haut débit (Edge, 3G, 3G+, Wi-Fi et bientôt Wimax), la conception des applications et des services mobiles 2.0 ne repose pas sur une technologie uniforme du type Ajax. Il existe, par exemple, J2M, Flash Lite, HTML/HXTML. De même, la plus grande hétérogénéité des systèmes d'exploitation des téléphones portables par rapport à celle des ordinateurs de bureau est également un frein au développement du mobile 2.0.
Comme le souligne Patrick Slupowski, directeur stratégique grand public au Technocentre d'Orange, «le téléphone mobile a une réalité physique, définie, entre autres critères, par la taille de l'écran ou du clavier, qui conditionneront toujours une expérience multimédia différente de celle de l'ordinateur. La taille de la main et des poches ne vont pas, elles, changer d'ici peu.»
Enfin, les usages diffèrent. Le mobile est utilisé pour des interactions courtes ; l'ordinateur peut rester branché des heures d'affilée. Le premier autorise des services impensables avec le second, comme la géolocalisation et, bientôt, la lecture de codes-barres. Enfin, le modèle économique du mobile doit tenir compte de l'itinérance des prospects et/ou clients. Autant de particularités qui imposent une approche distincte de celle suivie pour le web fixe. Un beau cauchemar en perspective pour les programmeurs.

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