Le président de l'Arcep réplique à Martin Bouygues sur l'arrivée de Free Mobile

le 11/07/2012, par Jean Pierre Blettner, Régulation télécoms, 1529 mots

L'arrivée de Free Mobile a fait baisser les prix, fait croître le nombre d'abonnés et aboutit à la suppression de 1000 emplois. C'est le constat dressé par le président de l'Arcep devant la commission des Affaires économiques. Il rappelle à Martin Bouygues que c'est grâce à un régulateur fort que Bouygues Télécom a pu se faire une place.

Le président de l'Arcep réplique à Martin Bouygues sur l'arrivée de Free Mobile

C'est dans le cadre d'une longue audition devant la commission des affaires économiques de l'Assemblée nationale, mercredi 11 Juillet à 10 h 30, que Jean-Ludovic Silicani, Président de l'autorité de régulation des télécoms, a détaillé l'état des lieux des télécoms après l'arrivée de Free Mobile.

Il tire un bilan plutôt positif de l'arrivée du quatrième opérateur mais ne le revendique pas, se plaçant derrière le mur du haut fonctionnaire qui assure la continuité de l'état. Il aura pour autant lancé quelques flèches dont certaines à destination de l'entourage de Martin Bouygues qui vient de se faire remarquer par une lettre attaquant l'arrivée de Free Mobile et le contrat d'itinérance entre Orange et Free Mobile, accusé de tous les maux du secteur télécoms.

« Quand je m'entretiens avec Martin Bouygues, tout se passe très bien, mais quand on lui fait signer des documents, le ton est différent » remarque-t-il auprès de la commission. « Martin Bouygues m'a toujours dit qu'il veut un régulateur puissant. Et c'est un régulateur puissant qui lui a fait une place sur le marché » a-t-il relevé.

Parmi les questions posées par les députés, c'est l'impact de l'arrivée de Free Mobile qui aura le plus retenu l'attention et le président de l'Arcep ne s'est pas dérobé. Le résultat est pourtant étrange car les arguments évoqués donnent le sentiment de décisions qui ont été prises de manière logique mais dont la traçabilité devient difficilement réalisable. Les arguments se sont perdus comme de l'eau dans le sable. Un certain amateurisme pour tout dire. 

Photo : Jean-Ludovic Silicani, président de l'Arcep




Le président de l'Arcep tient à rappeler qu'il n'est pas impliqué dans la décision d'attribuer une 4ème licence 3G. Les décisions ont été prises entre janvier 2009 et mars 2009. Il n'a pris la présidence de l'Arcep qu'en Mai 2009. « J'assume cela en tant que haut fonctionnaire dans le cadre de la continuité de l'état » déclare-t-il.

Puis il a listé un ensemble d'arguments qui relativisent largement les prises de position des opérateurs qui critiquent l'arrivée d'un quatrième opérateur mobile. « Dans tous les grands pays européens, il y a 4 opérateurs fixe-mobile, je ne vois pas en quoi en France l'arrivée d'un quatrième opérateur créerait une situation spécifique ? »fait mine d'interroger le président de l'Arcep.

Il ajoute « Le panier mobile moyen en France était plus élevé qu'en Europe. Plus personne ne remet cela en question ». Puis, il pointe l'erreur stratégique commise par les opérateurs mobiles existants. « Pourquoi ces opérateurs mobiles n'ont-ils pas autorisé des accords de full MVNO entre 2006 et 2008 ? Ils ont bloqué ce type d'accord et peut-être que Free n'aurait pas voulu construire son propre réseau, s'ils avaient accepté ce type d'accord ! » a-t-il martelé. Un Full MVNO peut gérer sa propre base d'abonnés et les services associés, et ne dispose pas que du droit d'acheter seulement des minutes en masse sur le réseau de l'opérateur hôte qui conserve tous les pouvoirs. 

Il poursuit : « La licence accordée à Free, l'a-t-elle été dans des conditions inéquitables ? » C'est une question souvent posée. « Free a obtenu moins d'un tiers des fréquences pour plus d'un tiers du prix, soit 240 millions d'euros. L'accord a été validé par le Conseil d'état, après la poursuite lancée par deux opérateurs, et il n'y avait qu'un seul candidat, » il en veut donc pour preuve que ce n'était pas le jackpot dénoncé par les concurrents de Free Mobile.



Quelles conséquences pour le marché ? Elles sont plus que positives, énonce Jean-Ludovic Silicani. « Lors du premier trimestre 2012, Free Mobile a capté 2,6 millions de clients entre Janvier et Mars. Or, dans le même temps, le nombre d'abonnés au mobile sur ce trimestre a augmenté de 1 million. On a donc observé une croissance du marché. C'est normal lorsqu'il y a une petite croissance concurrentielle » dit-il. Dans le même temps, le trafic SMS et data ont fortement augmenté. « Il y a eu 50% de croissance du volume data » souligne le président de l'Arcep.

Il estime que la baisse du chiffre d'affaires du secteur est extrêmement basse. « Il n'y a pas eu d'effondrement du chiffre d'affaires ni des marges. Globalement, le marché est resté stable » déclare-t-il. Il veut bien reconnaître toutefois que de tous les opérateurs, Bouygues Télécom est celui qui subit le plus de conséquences négatives et déstabilisatrices. « De par son poids sur le marché, le plus faible, son ancienneté, et ses offres » indique Jean-Ludovic Silicani.

Quelles conséquences pour l'investissement ? « Il faut 6 milliards d'euros d'investissement par an dans les télécoms » dit-il, « 2 milliards pour les nouveaux réseaux, fixe et mobile, et 4 milliards pour l'entretien de ceux existants. »Or, quel a été le montant sur les trois dernières années ? « 8 milliards d'euros par an, car il y a eu 5 milliards d'euros d'achats de fréquences. Les opérateurs n'auront plus à acheter de fréquences jusqu' à la fin de la décennie. »

Quelles conséquences pour l'emploi ? C'est la question critique, celle qui a fait monter au créneau Arnaud Montebourg, Ministre du redressement productif. Le solde établi par Jean-Ludovic Silicani s'établit à une perte de 1000 emplois pour le secteur à la date actuelle.

Pour établir ce chiffre, le président de l'Arcep a listé les diverses informations du secteur depuis quelques semaines. « Le plus clair a été Bouygues Télécom qui a annoncé plus de 600 suppressions, réalisées par le biais d'incitation au départ » déclare-t-il.



Il poursuit : « SFR a laissé entendre qu'il y aurait 1000 départs via des incitations. On n'a pas eu de déclaration officielle de SFR sur ce sujet. Cela donne 1600 postes supprimés par des incitations au départ. Stéphane Richard, PDG de France Télécom, a indiqué qu'il n'y aurait pas de suppressions de postes, mais seulement des non remplacements lors de départs à la retraite. »

En ce qui concerne les emplois indirects, le calcul est plus difficile à établir car on ne sait pas réellement ce qu'externalise chaque opérateur. « En ce qui concerne les centres d'appels, 1500 postes pourraient être supprimés. Mais c'est difficile à établir car ces centres d'appels ont d'autres clients dans la banque par exemple. Et il y a une baisse tendancielle dans ce secteur, et il est assez pratique de mettre sur le dos de Free ces suppressions de postes » critique mezza voice Jean-Ludovic Silicani.

Tout cela est à mettre en rapport avec les créations d'emplois de Free. « Free a déjà créé 2000 emplois dans deux centres d'appels en région parisienne. Et d'autres emplois sont prévus d'ici la fin de l'année. Il y a donc au maximum, 3000 postes supprimés, et 2000 créés. Ce qui laisse un solde négatif de 1000 emplois » additionne-t-il.

Ces conséquences étaient-elles prévisibles ? En 2008, une étude de la direction du trésor avait abordé le sujet, déclare Jean-Ludovic Silicani. Luc Châtel, alors ministre de l'industrie et des télécoms, évoquait une croissance de 7% du marché et la création d'emplois par l'arrivée d'un quatrième réseau. Mais cette étude, le président de l'Arcep ne l'a jamais lue, et il ne sait pas où elle se trouve.

 

Lors de cette audition, Jean-Ludovic Silicani a alors été relancé par Laure de la Raudière, député UMP d'Eure et Loire, et spécialiste des questions de technologies : « En 2009, on nous avait indiqué que les MVNO pouvaient avoir le même impact sur les tarifs ? » Réponse du tac au tac du président de l'Arcep : « C'est bien ce que j'indiquais quand je parlais du fait que les opérateurs mobiles auraient du accepter des full MVNO sur leur réseau. »

Le président de l'Arcep rappelle qu'au premier trimestre 2012, les experts financiers externes à l'Arcep, parlaient de 5000 à 10 000 suppressions de postes dans le secteur des télécoms. Un chiffre brut qui serait plus faible après la création de postes par Free Mobile.

Jean-Ludovic Silicani retient que les prix ont baissé grâce à Free Mobile mais que les offres de Free apportent moins de services. "Certains consommateurs veulent des services humains et des boutiques, d'autres surfent sur internet pour avoir les mêmes informations" oppose-t-il. Au final,  « tout le marché ne va pas évoluer vers Free. Les offres à bas prix devraient concerner 20% à 25% du marché. »

Et il est confiant dans la 4G pour apporter en 2013 de nouveaux services et le rebond nécessaire.



On peut être président de l'Arcep et faire des réponses qui noient le poisson même devant la représentation nationale. Free respecte-t-il ses obligations de couverture ? Jean-Ludovic Silicani estime que tous les contrôles ont été faits plusieurs fois et montrent que Free Mobile couvre de 27% à 30% de la population.

Or, des experts du secteur murmurent que certes les antennes de Free ont la capacité de couvrir le bon pourcentage de la population, mais que le trafic passe en réalité par le réseau d'Orange. Ce qui est moyennement satisfaisant.

Reste la relation avec le Ministre du redressement productif. « Arnaud Montebourg m'a indiqué que pour lui la régulation est politique. Cela le préoccupe qu'une autorité indépendante s'en occupe mais il en prend acte » a révélé le président de l'Arcep. Mais au final, le ministre accepte les prérogatives de l'Arcep, et Jean Ludovic Silicani plaide pour une répartition des rôles. A l'Arcep, les aspects technico-économiques, et au gouvernement la politique.

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