L'euphorie du FTTH

Dossier par Valérie Larbaud, 1581 mots

L'euphorie du FTTH Fini l'autocélébration des bons résultats en ADSL ! Depuis le mois de septembre dernier et l'annonce du groupe Iliad-Free, la France semble changer d'époque. La fibre optique deviendrait le nouvel horizon. Le ministre de l'Industrie, François Loos, a déjà fixé pour objectif de raccorder quatre millions de foyers en fibre optique d'ici à 2012, soit un peu plus de 5 % de la population. Dans les faits, le mouvement est très relatif. Iliad-Free peaufine son déploiement ; ses concurrents directs, le nez rivé sur quelques expérimentations, ne se dévoilent pas.
La fibre optique est pourtant une réalité. Toute la Gaule se couvre en ADSL ? Certes, mais en regardant à la loupe, comme dans Astérix, on note quelques «villages» gagnés par le FFTH : l'agglomération de Pau, Gonfreville-l'Orcher, Cherbourg et Saint-Lô. D'autres collectivités locales ont pris leur destin en main par des artères en fibre optique, servant de backbone ; ce que l'on appelle aussi les réseaux de collecte. C'était le cas, en décembre, des agglomérations de Périgueux et d'Aix-en-Provence. A partir de là, d'autres réseaux mènent aux abonnés. Pour les particuliers, l'option fibre optique est rarement choisie, en dehors des quelques exemples cités. Pour les entreprises en revanche, les collectivités locales, pour des raisons d'attractivité, poussent largement au développement de la fibre jusqu'au moindre bureau : le FTTO, fiber to the office.
«Il faut bien garder à l'esprit cette distinction, souligne Stéphane Lelux, PDG du cabinet de conseil Tactis et tête pensante de nombreuses collectivités, entre les déploiements pour les particuliers, encore en projet, et ceux destinés aux entreprises, largement entamés. Là, on a des milliers de sites raccordés - vingt-cinq mille à trente mille bâtiments - par des opérateurs comme France Télécom, mais aussi Colt, Completel, Neuf Telecom, Verizon.»
Ces accès aux entreprises sont vitaux pour les collectivités locales. Mais, là encore, les grandes agglomérations sont plus enclines à penser fibre optique. La communauté urbaine de Bordeaux va faire «fibrer» toutes ses zones d'activités. D'autres sont actuellement en appel d'offres : Aix-en-Provence, le Grand Toulouse et le Grand Nancy.

Public ou privé ?

Les projets strictement FTTH sont donc rarissimes. Ils sont tous, à la différence du projet d'Iliad-Free sur Paris, d'initiative publique. Deux types de développements FTTH se profilent en France : l'un d'ordre privé sur Paris et les grandes métropoles, avec au moins un opérateur déclaré ; l'autre sur le reste de la France, qui ne pourra venir que d'initiatives publiques - actuellement très rares. Le privé, naturellement, se concentre sur les bassins de population où il trouvera sa rentabilité. La fracture numérique devrait donc s'accentuer et laisser en carafe les quelques projets pourtant menés à terme. Petit tour d'horizon de ces avant-gardistes.
Pau est le grand exemple français de déploiement en FTTH. Pau la pionnière affiche, selon Jean-Pierre Jambes, directeur du développement à la communauté d'agglomération de Pau-Pyrénées, trois mille deux cents abonnés en FTTH fin décembre 2006. Le réseau représente trente-sept mille cinq cents prises, 80 % en FTTH (jusque chez l'habitant) et 20 % en FTTO (jusqu'au bureau). Ce dernier accès est encore à conforter, une délibération en cours devant permettre aux entreprises de recevoir davantage de prises, pour un investissement de la collectivité compris entre 3 et 5 millions d'euros. L'agglomération a également lancé, il y a six mois, le système OpenLab permettant, via la fibre optique, à des entreprises de communiquer entre les zones d'entreprises de Pau et d'autres zones dans le monde.
L'accent est donc mis sur la rentabilisation via les entreprises, et plus sur le FTTO que sur le FTTH. L'opérateur de services Médiafibre, celui qui vend les accès triple play aux habitants, vient d'ailleurs d'être racheté début janvier par Neuf Cegetel. Médiafibre n'a pas encore trouvé sa rentabilité, et Neuf pourra observer de plus près le FTTH. Quant à l'opérateur de réseau de Pau, c'est une filiale d'Axione, du groupe ETDE-Bouygues.
Mais Pau n'a pas fait école, les autres collectivités cernent mal les usages proposés par le FTTH. Seules Gonfreville-l'Orcher (Seine-Maritime), Cherbourg et Saint-Lô (Manche) concoctent également un projet de desserte en fibres optiques jusque chez l'habitant. Cas à part, plusieurs collectivités se sont vues dans l'obligation de procéder à des déploiements FTTH. C'est le cas de sites classés Seveso. Avec une centrale nucléaire à proximité, le réseau en fibre est plus fiable qu'un réseau ADSL pour les alertes, pour transmettre des informations en temps réel. C'est le cas de Goldfech près de la centrale nucléaire du même nom. Les communes concernées disposent d'un financement de l'Etat et d'une taxe professionnelle spécifique. Le coût ne pose donc pas de problème.

Psychanalyse du câble

Le tableau ne serait toutefois pas complet sans une mention du câble. Certes, son histoire relève de la psychanalyse : pendant vingt ans, il a subi les effets du plan câble et d'une législation contraignante. Aujourd'hui, un seul opérateur est en place. Il faut d'autant moins négliger le câble qu'il relève la tête, deux exemples en témoignent : le département du Rhône et l'agglomération de Saint-Quentin-en-Yvelines.
Le département du Rhône est l'un des plus anciens exemples de réseau haut débit en France. Originalité : il repose sur le câble. Mais il est resté le seul. Ce réseau propose une dorsale en fibre optique et ensuite des accès pour desservir par le câble deux cent quarante mille foyers, pratiquement la totalité des habitants du département, et notamment les zones rurales. Un conseil général, surtout celui du Rhône, connaît en effet une surreprésentation des élus des cantons ruraux par rapport à la ville centre et ses banlieues, en l'occurrence Lyon. Quand il raisonne en haut débit, c'est donc pour tout le département et pour rééquilibrer les distorsions nées du poids de la ville centre. Le câblo-opérateur, UPC à l'origine, a donc eu l'obligation de connecter tous les foyers et également tous les édifices publics, en particulier les collèges, gratuitement. En échange, le département a financé un tiers de l'investissement, soit 75 des 231 millions d'euros nécessaires.
Encore moins médiatique, la ville nouvelle de Saint-Quentin-en-Yvelines est pourtant un cas unique en France. Cette collectivité locale a racheté son réseau câblé il y a deux ans, elle l'étend à tous ses habitants et va passer au FTTH. France Télécom a en effet vendu ses réseaux, issus du plan câble. Tous sont passés chez Ypso (holding regroupant UPC-Noos et Numericable), sauf celui de Saint-Quentin-en-Yvelines, où les élus ont décidé de racheter leur réseau et de signer un chèque de 4,5 millions d'euros à l'opérateur historique. «C'est un bon prix, rapporté au nombre de prises : soixante-dix-sept mille», commente l'un des vice-présidents du syndicat de la ville nouvelle, Yves Macheboeuf. L'opérateur historique a versé d'autant plus de larmes qu'il réalisait un chiffre d'affaires de 10 millions d'euros, et près de la moitié en bénéfices. Les élus ont décidé de reprendre leur réseau en main pour l'étendre, le moderniser et donner à terme la possibilité à tous les habitants d'être connectés en FTTH. Numericable reste opérateur de services pour proposer son offre triple play.

Penser à l'habitat neuf

La collectivité va maintenant passer à son propre dégroupage sur son réseau câblé et vérifier que tous les habitants accèdent bien au réseau et au FTTH. «Seule une collectivité - c'était déjà le cas avec l'ADSL - peut se préoccuper ainsi de toute la population», souligne Yves Macheboeuf. Saint-Quentin-en-Yvelines connectera également les entreprises en 2007. Ce FTTH va être imposé dans tous les habitats neufs par des conventions d'urbanisme. C'est le cas aussi à Valenciennes, où l'ancien maire et actuel ministre Jean-Louis Borloo impose son FTTH aux habitations neuves nées dans les quartiers où l'habitat est réhabilité. Rares cas, mais ils existent, où la fibre optique et le FTTH seront accessibles dans des habitats à population moins favorisée. Les collectivités locales prennent de vraies initiatives et de vrais risques. Saint-Quentin est, par exemple, en conflit avec deux opérateurs ; à Valenciennes, Arnaud Benoît, le DSI, s'est passé de délégation de service public pour bâtir son réseau, préférant courir lui-même les subventions et démêler les écheveaux juridiques plutôt que de passer par des cabinets ou des institutions spécialisées.
«Non seulement il faut une volonté forte, mais aussi un certain consensus. Je mène le projet et les réunions de travail avec un autre vice-président, alors que nous sommes de bords politiques opposés», souligne Yves Macheboeuf. La ville nouvelle envisage de passer par une SEM ou un délégataire à terme ; pour l'heure, les élus s'appuient sur un consultant, Michel Triboulet, directeur général du cabinet e-Reso. «N'oubliez pas non plus, nous précise ce dernier, que les premiers réseaux plan câble étaient FTTH. Il en existe encore cinq en France, totalisant cent quarante mille prises : Nantes, Palaiseau, Evry, Toulon, Sèvres-Suresnes-Saint-Cloud (réseau 3S). De la fibre multinodale jusque chez l'habitant.»
Le match pourrait donc s'annoncer passionnant entre un FTTH amené par des opérateurs télécoms et celui des opérateurs du câble. Toutefois, le câble ne va pas jusqu'à l'appartement. Il arrive dans les amplificateurs de France Télécom ; après, il faut soit tirer de la fibre, soit passer - comme le fait traditionnellement l'opérateur du câble - par du coaxial et régénérer le signal. «Plus on monte dans les immeubles, plus on rencontre de limites physiques», souligne Stéphane Lelux. La comparaison en terme de débit semble donc devoir s'arrêter au pied des immeubles.
Elle s'arrête aussi aux limites des grandes villes. Les annonces de projets en Ile-de-France, accentuent en effet encore plus la question de la fracture numérique. Avec deux types de projets à l'étude, des projets d'initiative publique, comme ceux du département des Hauts-de-Seine et du Sipperec (petite couronne parisienne, essentiellement sur le 93 et le 94), et celui mené sur la ville de Paris par le privé, en l'occurrence Iliad-Free.

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