Une massification rapide

Dossier par Pascal Sage, 1430 mots

Cette fois, ça y est. Le nombre d'êtres humains sur Terre est dépassé... par celui des machines communicantes. Et d'ici à 2010, l'Europe comptera treize milliards d'objets communicants, dont une majorité d'étiquettes RFID. A cet horizon, ABI Research estime que notre planète hébergera plus de cent milliards d'objets communicants.
Equipementiers, éditeurs spécialisés et nouveaux acteurs de la convergence des services s'affrontent déjà sur le marché des communications machine-to-machine, ou M2M. Un marché en plein boom, lié aux dernières obligations de traçabilité dans l'agroalimentaire, la grande distribution, la finance, les transports et l'industrie.
Deux phénomènes apparaissent simultanément. D'une part, le développement des communications cellulaires permet d'installer des machines un peu partout sans avoir à se raccorder au RTC ni même au réseau électrique. D'autre part, l'apparition de composants et de systèmes d'exploitation embarqués standard favorise l'essor de modules normalisés et réutilisables pour remonter automatiquement des données sans fil vers le système d'information. "Les prix et les technologies M2M séduisent un nombre croissant de clients qui souhaitent réduire leurs coûts d'exploitation. Mais il reste beaucoup d'évangélisation à faire, les industriels ne savent pas tous comment ça marche", souligne Jean Falchero, président et cofondateur de Kuantic, intégrateur et distributeur de packages communicants bâtis sur les cartes SIM d'Orange.
Les applications M2M sont liées à la surveillance de palettes, de systèmes thermiques ou électriques, d'entrepôts, voire de yachts ou de chantiers. La détection de fuites ou d'intrusions, voire de vandalisme, est devenue une spécialité de SailServices par exemple, qui emprunte indifféremment le réseau local sans fil ou les réseaux GSM et GPRS pour donner l'alerte en temps réel. Les intégrateurs de tels boîtiers communicants ne sont autres que Monaco Marine sur la Côte d'Azur, Ouest Alarme à Lorient, Pochon à La Rochelle : ils installent des mouchards et des caméras miniatures à bord de bateaux surveillés à distance.
Mais il existe d'autres débouchés, aux volumes considérables : "Au-delà de la phase pilote, il faut être capable de déployer plusieurs milliers de machines par mois pour la télémétrie et les applications embarquées dans l'automobile", illustre Jean Falchero. Dans le secteur des transports, la machine va remonter des données telles que la pression des pneus, la localisation du véhicule ou le nombre de kilomètres parcourus sur autoroute, sans la moindre pause...

Anticiper les pannes

Lorsque les ascenseurs communiquent leur propre baisse de performances, le dépannage peut intervenir avant même qu'il n'y ait eu panne. "La compagnie d'ascenseurs peut vendre ce type de services pour se démarquer de ses concurrents, pour fidéliser ses clients et optimiser les interventions de ses techniciens", explique Yves Clisson, le PDG de Telelogos, un éditeur spécialiste de l'embarqué.
Au-delà des transports, le M2M aide à piloter les systèmes d'arrosage des communes en dehors des périodes de pluie, à réguler les feux de circulation ou à mesurer le degré de sécheresse des cultures. Les bénéfices apportés se mesurent au niveau de l'exploitation et de la maintenance le plus souvent.
Ainsi, le projet Archange de Konica-Minolta a-t-il permis à la filiale française du fabricant nippon de se distinguer, dès l'an passé, avec un photocopieur communicant. Ce système permet de facturer le client à l'usage, via l'automatisation complète de la chaîne de valeurs M2M. En fin de mois, le nombre exact de copies réalisées sur chaque machine est envoyé, et tous les besoins intimes du copieur sont transmis à distance : "La solution mise en oeuvre par Kuantic permet de prévenir et d'anticiper les pannes, d'alimenter le client en consommables et de gérer sa facturation sans avoir à envoyer quiconque sur place", révèle Jean Falchero. Une optimisation globale des processus qui concerne plus de deux mille nouvelles unités par mois dorénavant.

Objets et machines communiquent

Les professionnels du M2M distinguent la machine de l'objet communicant. L'objet dialogue à courte distance, à travers un tag RFID ou bien via un module intelligent conçu pour la télémétrie. La machine est plus complète, plus autonome et peut communiquer à plus longue distance. Elle comprend généralement un microprocesseur, un système d'exploitation et des applications. Par exemple, une station météorologique en mer contrôle la houle, le vent et la toxicité de l'eau. Des calculs s'effectuent localement dans cette machine équipée d'un système de mesures. Elle requiert donc une puissance plus importante qu'une étiquette ou un simple document RFID.
Le développement des machines communicantes s'effectue à base de microprocesseurs et de systèmes embarqués tels Linux ou Windows CE. Outre quelques commandes exécutées localement, la machine peut piloter par elle-même des communications RTC, satellite ou GSM.
Une vanne ou un robinet de gaz ou d'électricité restent des objets simples. Ouverts ou fermés, ils deviennent eux aussi communicants à distance, car l'ouverture des marchés impose des relevés plus fréquents : "Pour une relève à distance, il est économiquement impensable de dépenser 5 euros dans chaque compteur", note à ce propos Yves Clisson.
La démocratisation du M2M passe par de nouveaux modems GSM, GPRS ou même SMS qui embarquent un peu d'intelligence : le Français Wavecom, le Finlandais Nokia et l'Allemand Siemens proposent de tels modems radio entourés de mémoire RAM et pouvant exécuter un petit programme développé en C. Jusqu'ici, instructions et relevés, transmis via le GSM, faisaient l'objet de codages spécifiques. Mais les choses changent. Les équipementiers tel Cisco Systems proposent de glisser des traitements dans le réseau lui-même. Et Telelogos prépare un middleware pour capter les informations d'objets intelligents et les interfacer au centre de données du client. L'apparition de ces services intermédiaires du M2M évitera de développer à nouveau des programmes semblables pour relever des compteurs, interroger des pompes, des vannes ou des photocopieurs d'entreprise.


Encadrés

Le M2M mûrit vite

Trois éléments participent à la percée du M2M : le matériel, les systèmes embarqués et les réseaux mobiles. Ce cocktail permet le déploiement d'applications IP entre machines communicantes. La demande croissante des entreprises est motivée par leur quête de productivité et d'économies sur l'exploitation des machines et des infrastructures. Les obligations de traçabilité achèvent de convaincre les décideurs de l'agroalimentaire, de l'industrie, des transports et de la distribution. En outre, le vieillissement de la population développe la télémédecine et la télésurveillance. L'Internet peut donc atteindre les machines et objets intelligents. Dans le même temps, les progiciels intégrés assurent un suivi plus fin de la logistique, en temps réel. Ils captent les données d'étiquettes intelligentes (RFID) placées sur les palettes ou les produits eux-mêmes.
Le M2M ouvre un marché colossal. Editeurs, intégrateurs de solutions et opérateurs nouent des alliances. Les fournisseurs veulent capitaliser sur les solutions standard (CANbus, GPIO, Ethernet, liens séries et USB) associées aux modems GSM et GPRS et aux composants de localisation (GPS, Galileo). Pour l'heure, la convergence fixe-mobile met sous pression les opérateurs mobiles. Ils tentent de formuler des offres pertinentes pour accompagner l'essor rapide du marché M2M. Leur stratégie consiste à s'entourer de partenaires spécialisés, innovants et réactifs. Et pour cause : en 2010, le M2M pourra peser plus de 10 % de leurs revenus.

Kuantic confirme l'essor rapide du M2M

Un poids de plus de 220 milliards d'euros en 2010, contre 20 milliards actuellement, soit une croissance annuelle de 49 %, estime l'Idate : le marché mondial du M2M décolle fortement. Et la France n'échappe pas au phénomène : "Nous ouvrons de huit mille à dix mille lignes GSM par mois pour les échanges entre machines, et nous passerons bientôt à plus cinquante mille", prévoit Jean Falchero, président et cofondateur de Kuantic, une jeune pousse du M2M créée à Sophia-Antipolis il y a trois ans. La percée rapide du marché coïncide avec la démocratisation des packages sans fil, des offres SMS, GSM ou GPRS. Elle contraint toutefois Kuantic à s'organiser pour faire face à un vrai marché de masse. Partenaire d'Orange, l'intégrateur-distributeur se focalise sur le "100 % GSM embarqué". Il automatise les procédures d'activation de services et de facturation, ouvrant ses traitements aux clients via un extranet. En 2005, son chiffre d'affaires a été multiplié par cinq, pour atteindre 4 millions d'euros. Dans cinq ans, l'Europe comptera treize milliards d'objets communicants. Kuantic espère conquérir sept pays européens à court terme, dont deux dès cette année. Le coût du boîtier de communication baisse. L'intelligence embarquée est en pleine mutation. Kuantic est en mesure d'accélérer les déploiements à grande échelle : "Avec France Télécom, nous pouvons afficher un prix global, en volume, inférieur à 10 euros par machine et par mois", révèle Jean Falchero. Ce tarif inclut le boîtier et les communications, la plate-forme de gestion des services et la cartographie, le tout assorti d'un financement. En matière de packaging M2M, la moindre longueur d'avance vaut de l'or.

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