Interview : «Alcatel-Lucent ampute le coeur de la R&D»

Dossier par Olivier Coredo , 661 mots

Avec 441 suppressions d'emplois, la Bretagne est touchée de plein fouet par le vaste plan de restructuration d'Alcatel Lucent. Emmanuel Le Bolzer, vice-président de l'association « Trégor Debout » et vice-président du conseil économique et sociale de Bretagne pour la CFTC, revient sur le plan social annoncée et déplore le mutisme d'une direction inflexible.

Interview : «Alcatel-Lucent ampute le coeur de la R&D» R&T : Comment avez-vous perçu l'annonce de la fusion Alcatel Lucent ?

Emmanuel Le Bolzer : La fusion est évoquée depuis des mois. L'impact humain est évidemment négatif. Tout le monde sait bien qu'une fusion entre deux leaders mondiaux entraîne obligatoirement des doublons et irrémédiablement des licenciements. Cependant, nous étions prêt à comprendre l'enjeu économique, la nécessité de faire face aux acteurs émergents, notamment Chinois. Bâtir le premier groupe mondial dans les télécoms est une bonne chose en soi.
Cependant, Lucent nous avait été présentée comme une entreprise dynamique et saine. La publication des comptes nous a laissé un goût amer, nous avons l'impression qu'Alcatel s'est fait avoir...

R&T : Quel est l'impact de la restructuration en Bretagne ?

E.L.B. : Alcatel Lucent annonce vouloir supprimer 1500 emplois en France. Au total, 441 postes sont menacés en Bretagne.
Le site de Rennes, flambant neuf, qui dépend d'Orvault (44) va disparaître. Plus de 210 emplois sont ainsi supprimés. Il ne s'agit pas que de départs à la retraite non renouvelés. De jeunes ingénieurs sont aussi touchés.
Lannion (Trégor)va perdre 217 emplois. Près de 150 concernent le service « convergence », soit la R&D ; 48 le service « Team », soit les services commerciaux ; 7 touchent Alcatel University (formation) ; 4 la téléphonie fixe et 8, l'administratif.
Brest, avec 6 suppressions d'emplois sur 150, est peu touché.

R&T : Le plan touche t-il réellement la R&D ?

E.L.B. : Oui et c'est incompréhensible. La restructuration touche le coeur de l'activité Alcatel CIT de Lannion. Il y aura bien des reclassements ou des départs anticipés, mais le gros du plan se concrétise réellement en des suppressions d'emplois pures. Nous sommes réellement inquiets. D'autant plus qu'une baisse d'activité sur Lannion impacte tout un écosystème, de sous-traitants et de PME.

R&T : Où en sont vos discussions avec la direction ?

E.L.B. : Ce qui marque est l'absence totale de discussions. Nous n'avons pas d'explications.
Nous sommes capables de comprendre. Nous pouvons appréhender le fait que le groupe se trouve entraîné dans une concurrence mondiale effrénée et qu'il est nécessaire de s'adapter.
Mais nous cherchons à obtenir des précisions et des justifications. Avant même de négocier, il faudrait tout simplement discuter. La direction est inflexible, on se demande bien pourquoi !
A mon sens, la mondialisation peut-être aussi une opportunité, une chance à saisir pour la R&D Française.

R&T : Quels sont vos moyens de pression ?

E.L.B. : Plus de 3 000 manifestants ont défilé dans les rues de Paris la semaine dernière. Pour 1 500 suppressions d'emplois, c'est un signe de ralliement de masse ! Les salariés et les partenaires sociaux se mobilisent.
Ensuite, les organisations syndicales cherchent à obliger la direction à se dévoiler. Certaines obligations d'information n'ont pas été tenues. Nous jouons là dessus.
Pour finir, Alcatel Lucent est l'un des piliers du tout jeune pôle de compétitivité images et réseaux en Bretagne. Le groupe reçoit à ce titre des subventions de la part du conseil régional et des pouvoirs publics.
Nous essayons donc de faire pression auprès des élus pour que la direction d'Alcatel fléchisse et entame des pourparlers.

R&T : Le Chinois Huawei s'installe à Lannion, c'est une bonne chose, non ?

E.L.B. : Huawei est un concurrent direct d'Alcatel Lucent. Ils ont remporté un marché sur les capteurs optiques auprès de France Télécom. Ils viennent donc s'implanter juste à côté du centre de R&D. Pour le moment, seuls une dizaines de Chinois et une dizaine de Français vont s'installer. Nous sommes attentifs. Il faut voir s'il y aura des transferts de compétences et des possibilités de reclassement chez Huawei.
Dans tous les cas, c'est une bonne émulation pour les télécoms en Bretagne.
Nous nous battons depuis des années pour créer un pôle de compétences Télécoms fort en Bretagne.

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